LA MAISON DES PETITS CUBES ((nettoyage intérieur)
J’aimerais vous raconter l’histoire d’un vieil homme, qui vivait dans une maison pas comme les autres, dans un village pas comme les autres. Car ce village était inondé et chaque année, le niveau de l’eau montait. Ce qui obligeait les habitants à construire une autre maison sur le toit de celles qu’ils avaient.
Cet homme vivait là depuis toujours, et il ne voulait pas déménager… Il avait peur de l’eau et craignait de se noyer s’il s’évadait en bateau… Après tout, il avait tout ce qu’il lui fallait ici… Par exemple dans son salon, il avait une trappe par laquelle il pouvait pêcher des poissons… Sur son toit, il avait un poulailler et même un jardin potager. Si quelque chose lui manquait, un bateau le lui apportait…
Il avait tout ce qui lui fallait, sauf un petit quelque chose… Quelque chose qu’il n’arrivait pas à nommer, comme un vide à l’intérieur de lui, qu’il n’arrivait pas à combler… Pourtant il avait essayé… En consacrant beaucoup de temps à son travail, pour ses enfants, en multipliant les activités, il avait l’impression qu’en étant toujours occupé, ce vide disparaitrait... Mais ça n’avait pas marché.
Alors il avait essayé de remplir son chariot… Quand il était plein de nourriture, d’objets, il avait cette fugace impression, d’être rempli aussi…
Mais ce vide réapparaissait presque aussitôt… Alors il avait essayé de remplir son ventre de gâteaux, de sucreries, de nourriture de toute sorte, ses poumons de nicotine et son foie d’alcool, mais ce vide réapparaissait instantanément… Il avait prié chaque soir, pour que le lendemain ce vide ait disparu… Mais chaque matin quand il se réveillait, ce vide était toujours là…un petit peu plus grand… Et il s’y était habitué…
Cette année là alors que nous étions au mois de janvier, le niveau de l’eau avait encore monté. Il n’avait pas réalisé que l’eau lui arrivait déjà jusqu’aux chevilles, et s’il ne voulait pas se noyer, il lui fallait réagir.
Il attrapa donc sa caisse à outils... Il faut dire qu’il était plutôt dégourdi… Depuis qu’il était tout petit, il s’était souvent débrouillé tout seul. Il faut dire qu’il avait passé beaucoup de temps dans l’atelier de son père, il voulait lui montrer tout ce qu’il était capable de faire même si son père avait toujours voulu une fille. Il voulait diminuer l’immense déception de son père de ne pas avoir eu une fille. Mais quoi qu’il fasse, ce n’était jamais assez bien pour lui de toute façon.
Il attrapa donc sa caisse à outils… mais celle-ci, trop lourde, lui échappa des mains et dégringola par la trappe du salon, plusieurs étages plus bas… Il n’eut donc pas d’autre choix que de descendre la chercher en empruntant l’ascenseur de verre qu’il avait fait installer.
Il descendait à l’étage en dessous, lorsqu’il aperçut tous les meubles tels qu’il les avait laissés… Il n’aimait pas revenir ici… C’était plein de mauvais souvenirs, surtout quand il revoyait une pièce en particulier …Car c’est ici que son père était décédé, et il n’avait rien pu faire pour le sauver… Si vous saviez comme il s’en voulait, de n’avoir pas pu empêcher la mort de venir le chercher…
Surtout qu’il n’était pas là au moment où ça s’était passé…Il s’était absenté pour aller à la pharmacie, et lui ramener les médicaments qu’on lui avait prescrits… C’est si fréquent de se sentir coupable quand on est victime, car c’est tellement dur d’être impuissant… Cela voudrait dire qu’on n’a aucun impact sur les événements… Alors que si on est coupable, on est alors un peu responsable, et on va peut-être pouvoir empêcher que ce drame se reproduise avec un autre être cher… Mais comme la caisse à outils n’était pas ici, il décida de plonger plus bas, dans la maison d’avant…
Dans cette maison là, il se rappelait de bons moments, des repas de famille avec les gens qu’il aimait… Mais à y regarder de plus près, c’est comme s’il avait toujours porté un masque dans ces moments là… Pour cacher l’homme sensible… Trop sensible, qu’il était… Il fallait qu’il soit fort, qu’il garde la tête haute, il n’avait pas le droit de craquer… La caisse à outils n’étant pas ici, il décida de plonger plus bas dans la maison d’avant…
Dans cette maison là, il avait eu son premier enfant : une fille. Il espérait ainsi offrir à son père, la fille qu’il n’avait pas eu… Il espérait que sa fille allait pouvoir vivre la vie qu’il n’avait pas pu vivre, qu’elle allait pouvoir ôter de son chemin les souffrances qu’il avait lui-même rencontrées…Il avait tellement espéré être un père parfait… Mais ça n’existe pas les parents parfaits... Il n’y a que des gens qui font de leur mieux avec les ressources qu’ils possèdent… Et comme la caisse à outils n’était pas ici, il décida de ne pas s’attarder et de plonger profondément dans la maison d’avant.
Dans la maison juste en dessous, il s’était marié… Il avait choisi une femme pour rapidement s’éloigner de son mère… Mais à y regarder de plus près, avec le temps, il avait réalisé que les deux femmes de sa vie avaient pas mal de traits communs… Comme s’il avait essayé de se faire aimer à tout prix d’une femme qui aurait pu être sa mère…La caisse à outils n’étant pas ici, il décida de plonger plus bas, dans la maison d’avant…
C’était la maison de son enfance... A l’époque, le village n’était pas inondé. Tout autour de la maison, il y avait des forêts dans lesquelles il construisait des cabanes et s’amusait avec les gamins du quartier…
La caisse à outils était forcément ici…Et il allait la trouver… Il redécouvrit ainsi, la chambre qu’il avait quand il était petit... Il y avait la même tapisserie, les draps sur le lit, et sur le lit justement, il y avait le petit qu’il avait été, allongé sur le lit, la tête dans l’oreiller en train de pleurer…Mais bien sûr…C’étaient ses larmes, qui avaient tout inondé…Comme le robinet d’une baignoire resté ouvert toutes ces années…Une hémorragie de tristesse qui ne s’arrêtait jamais…
Le vieil homme ferma le robinet et pris dans ses bras le petit garçon qu’il avait été, en lui demandant pourquoi il pleurait…
-Je pleure à cause de mon placard…
-Ah bon mais qu’est-ce qu’il a ton placard ?
-D’après toi, qu’est-ce qu’il doit y avoir dans le placard d’un petit garçon ?
-Il doit y avoir…des jeux, des rires, des rêves et des joies…
-Y’a pas tout ça dans mon placard à moi… Y’a pas tout ça…
Le vieil homme se leva, ouvrit le placard et constata, qu’effectivement, il n’y avait ni jeux, ni rires, ni rêves, ni joies… Il ya avait des cartons…
Avec marqué dessus : tristesse de maman, colère de papa, peurs de mamans, perfection de papa, problèmes de ma famille, décès de mon frère… Mais qu’est-ce que c’est que tout ça…Qu’est ce que cela fait dans ton placard à toi ?
C’est parce que j’ai vu ma famille si malheureuse…J’aurai tellement voulu les aider… Ils étaient tellement aveuglés par leurs chagrins qu’ils ne voyaient pas que j’existais… Je me suis dit que si je prenais sur moi leurs souffrances, si je me sacrifiais, ils allaient se rendre compte de tout ce que je faisais pour eux, et ils allaient pouvoir m’aimer un peu… J’ai que 7 ans, mais je suis déjà grand….
Je suis un peu devenu le papa de mes parents, ils peuvent compter sur moi, mais c’est drôlement fatiguant d’être responsable de la vie de ses parents quand on n’a que 7 ans... Mon seul plaisir c’est de leur faire plaisir…
Mais regarde toi, tu ne te ressembles plus… Tu étais leur rayon de soleil… Ttu es devenu leur nuage de tristesse qui pleure sans arrêt…Tu n’as fait que dédoubler la souffrance, et tu as renoncé à tous est rêves… Il y a toujours autant de souffrance dans leurs placards à eux… Tu dois leur rendre et leur apprendre à s’en débarrasser…
Le petit garçon réfléchit toute la nuit… Et le lendemain matin, il alla voir ses parents en leur disant :
Papa, maman, parce que je vous aime de tout mon coeur, je vous rends toute la souffrance qui vous appartient… C’est trop lourd et trop chargé d’angoisses, je ne peux plus continuer à la porter sur moi. A cet instant le petit garçon récupéra un sourire… Cela faisait des mois que ses parents ne l’avaient pas vu ainsi, et ça leur fit un bien fou... Quant au vieux monsieur, il sentit que le vide à l’intérieur de lui était en train de se combler, de tous ses rires, de toutes ses joies, de tous ses jeux et de ses rêves du passé… Il put remonter à la surface avec sa caisse outils, et décida de construire une passerelle pour réaliser les rêves de sa nouvelle vie…
Auteurs : Kenya Hirata et Kunio Katô