Bon, là encore, je parle en tant que malade. J'ai souvent entendu ce genre de raisonnement venant de thérapeutes et je dois dire que ça m'a apporté des moments de déprime vraiment intenses qui me démolissaient totalement. L'intérêt pour la thérapie n'a rien à voir dans le fait que parfois l'effort gigantesque que l'on doit faire pour appeler, payer, se déplacer, j'ajouterai traverser la ville, dans un sens et dans l'autre, affronter les odeurs, le mouvement, le bruit, la salle d'attente, l'attente elle-même, le contact physique de la poignée de main qui semble obligatoire pour tout thérapeute, même la simple présence physique, fait qu'on n'a plus d'énergie pour la thérapie elle-même.
Dans tout cela, il se peut qu'une seule chose soit trop insurmontable pour tout bloquer et la seule manière de la débloquer, c'est que le thérapeute prenne conscience et accepte le fait que cette petite chose n'est pas surmontable, que ce n'est pas un caprice, et que derrière ce bloquage, il y a toute l'envie du patient, ou du client, de travailler et de progresser autant qu'il le peut et qu'il le veut. Et bien plus encore.
Justement ce sont des barrières à franchir, si la personne a su les franchir c'est déjà qu'elle a fait cet effort. Par contre pour une même barrière certains pourront la franchir sans s'en rendre compte et pour d'autres ce sera quelque chose d'insurmontable. Je ne parle pas ni ne pense en terme de caprice. Je pense qu'on fait toujours avec ce qu'on peut et avec ce que l'on a.
La semaine dernière j'ai reçu un mail d'une patiente qui avait pu bien profiter de ses vacances au soleil, c'était très beau de lire ce message de la part de cette personne qui m'avait dit m'avoir choisie comme psy parce que j'étais dans son périmètre de sécurité (une zone géographique délimitée chez les personnes souffrant d'agoraphobie dans laquelle ils peuvent se déplacer et qui peut être limitée à un immeuble ou sur une ville, un quartier etc. souvent incluant le domicile et le travail s'il y a un travail, éventuellement un trajet précis). Venir me voir, même si j'étais dans son périmètre de sécurité lui a peut être coûté plus "cher" en énergie que la personne qui faisait 200 Km pour venir. De l'extérieur on ne peut pas savoir ce que ça "coûte" à l'autre, on peut juste écouter ses difficultés, les écouter et les entendre.
Je préfère essayer d'adapter et voir en fonction. Je sais très bien qu'avec telle personne qui souffre de phobie sociale j'aurai beaucoup plus de rendez-vous annulés parce qu'à la dernière minute elle aura pu flipper et ne plus oser sortir. Pour moi ce sont des choses qui font partie de la thérapie autant pour le patient/client que pour le thérapeute.
Quand on franchi une barrière c'est qu'on a pu le faire. Par contre attention à ne pas retourner la phrase: si on ne l'a pas franchie ce n'est pas forcément qu'on ne le veut pas ou qu'on en n'a pas l'intérêt, ça peut être parce qu'on ne le peut pas.
Les personnes que je vois en micro-structure ont été souvent très malmenées par la vie, leur estime d'eux même est généralement catastrophique, des choses évidentes pour d'autres leur paraitront impossibles etc. et je trouve ça génial qu'on puisse leur offrir des consultations dans ses conditions, qui il faut le reconnaitre, rendent les soins possibles, pas plus confortables, mais possibles pour eux, c'est un accès qui leur permet une aide qu'ils n'auraient pas forcément pu avoir dans d'autres conditions et ça c'est vraiment super. Par contre pour les soignants il faut aussi se rappeler qu'ils travaillent dans des conditions particulières et que ça peut être dû aux circonstances, au mode de fonctionnement de l'endroit où ils se trouvent, pas forcément parce qu'ils ne font pas bien leur travail.
Je reviens une dernière fois sur les barrières: c'est une sélection et qui n'est pas forcément liée non plus à la motivation mais aux possibles pour la personne qu'il y ait des blocages physiques (ma superviseuse est au deuxième étage sans ascenseur pour une personne a mobilité réduite ça va être difficile ou impossible d'aller la voir), psychologiques (phobies notamment sociales ou agoraphobies, estime de soi et culpabilité: est-ce que j'ai le droit d'aller mieux, d'être heureux, de me soigner?), cognitifs (se rappeler d'un rendez-vous, avoir la sensation de représentation temporelle), le fait d'être engagé, motivé n'est qu'une des nombreuses facettes, qu'une des nombreuses barrières à franchir.
Plutôt qu'"intéressée" j'aurai pu le formuler autrement en portant l'attention sur l'origine de la demande: en libéral la personne fait la démarche, c'est elle qui lance tout, qui se débrouille pour aller chercher une solution à son problème, en structure, ici en hôpital pour Moune, c'est quelque chose qui est proposé, la personne accepte ou refuse. Je fais faire une comparaison de la vie quotidienne: une personne a soif et elle va se chercher un verre d'eau, une personne va chez quelqu'un et on lui offre un verre d'eau (peut être qu'elle aura soif ou pas, peut être qu'elle acceptera le verre alors que d'elle même elle n'aurait pas encore fait la démarche d'aller se chercher à boire, mais peut être aussi qu'elle avait effectivement soif et est bien contente qu'on lui offre). Moune risque d'être confrontée plus souvent à des personnes qui ont moins soif que si elles avaient engagées elles même la recherche du verre d'eau, ce qui n'empêche pas que certaines aient soif. Si ma comparaison n'est pas claire, dites le moi j'essayerai de faire mieux.